Les évolutions du maintien de la paix partie III

Publié le par Jérémie CHIRON-ESCALLIER

B Vers une nouvelle définition de la légitime défense ?

Enfin, il est nécessaire de parler de l’art. 51, art. essentiel puisqu’il concerne le recours à la légitime défense (LD), notion qui a elle aussi connu des évolutions au gré de la pratique, ou « dysfonctionnements » pour reprendre les termes de Mme Domestici-Met.

1°) Le système initial de LD, tel qu’envisagé par la Charte.

A l’origine, l’art. 51 instaure un régime limitatif et contraignant. Tout d’abord en ce qui concerne les conditions de fond, le recours à la LD n’est possible que dans le cas où un Etat Membre des NU fait l’objet d’une agression armée. Pour cela le CS doit qualifier ce qu’est une agression armée. Pour les conditions de forme, le droit de LD ne peut jouer que jusqu’à ce que le Conseil prenne les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales.

L’art. 51 définit le droit de recourir à la LD comme un droit naturel, et cette LD peut être individuelle ou collective. Ainsi, par ce biais, les Etats Membres peuvent s’engager à se défendre mutuellement en cas d’agression.

Enfin, l’art. 51 précise que le CS peut à tout moment prendre des mesures, et qu’il doit être automatiquement informé de celles prises par les Etats Membres, en cas d’agression. Le maintien de la paix est donc privilégié, et prédomine sur le droit à la LD.

Ce droit est un droit essentiel, surtout pour la première génération d’OMP, puisque les Etats-Membres ne peuvent recourir à la force, sauf en cas de LD. Mais cette disposition (« sauf en cas de LD ») aura un rôle moindre pour les générations suivantes dans la mesure où, comme nous l’avons précédemment évoqué, les casques bleus seront autorisés à recourir à la force dans certains cas.

2°) L’apparition de certaines déviances, dès les années 50, déformant l’usage initial de la LD.

·               La LD idéologique :

 Ce droit a été invoqué sur la base d’une agression idéologique. En effet, lorsque la Hongrie et la Tchécoslovaquie souhaitèrent s’émanciper du bloc soviétique dans les années 60 et obtenir une certaine indépendance politique, l’URSS invoqua une agression idéologique, l’idéologie marxiste, idéologie de libération, étant alors considérée comme agressée.

De même les Etats-Unis prirent des mesures de coercition économique contre Cuba en 1962, en dénonçant l’agression faite contre l’idéologie libérale américaine par l’instauration d’un régime marxiste, mesures coercitives qui subsistent toujours à l’heure actuelle.

·               La LD préventive :

En 1967, la FUNU est en place à Suez. Elle suppose alors l’accord de la Puissance sur le territoire de laquelle elle est installée, à savoir l’Egypte de Nacer. La FUNU est déployée sur une zone (« cordon de sécurité ») de 14 km, et Israël estime que c’est insuffisant pour lui permettre de riposter en cas d’invasion. De son côté Nacer, sollicité par les NU pour renouveller le mandat des casques bleus, refuse. Ainsi, Israël, pour éviter d’être agressé, décide d’attaquer préventivement. C’est le déclenchement de la guerre des six jours, exemple type de la LD préventive.

·               La LD permanente :

Enfin, la LD permanente fut invoquée par les USA lors de la guerre du Vietnâm. Estimant que les flux réguliers de l’armée vietnamienne par la piste de Ho Chi Ming étaient une agression permanente, les USA ont justifié leurs bombardements par la LD permanente, alors même que l’art. 51 définit la LD comme un acte ponctuel, répondant à une agression ponctuelle. Mais si ceci a été rendu possible, c’est bien parcequ’il n’y eu aucune intervention ni mesure prise par le CS sur ce conflit. C’est en effet normalement à ce dernier qu’il appartient de refermer la « parenthèse » de la LD qu’il peut d’ailleurs lui-même décider de rouvrir.

 

·               La réouverture du droit à la LD par le CS :

En 1990, à l’occasion de l’invasion du Koweït, ce droit fut encadré par le CS. En effet, les différentes mesures coercitives prises par l’ONU n’ayant pas fonctionné, la Communauté internationnale se trouvait dans une impasse. Dès le 2 août 1990, jour de l’annexion du Koweït par l’Irak, le CS avait pris  les « mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales », conformément à l’art. 51. De ce fait, la LD ne pouvait être invoquée. Le Conseil a donc, par le biais de la rés.678, réouvert le droit à la LD collective, mais uniquement aux 140 Etats partenaires réguliers du Koweït (exclusion d’Israël…). Si dans les deux mois suivant la rés., l’Irak n’avait pas quitté le Koweït, alors cette communauté d’Etats pouvait invoquer la LD collective. Aussi, en janvier 1991, l’Irak fut bombardé et le Koweït libéré.

·               L’habillage juridique des opérations du XXIème siècle naissant :

Les affaires d’Irak et d’Afghanistan vont avoir un habillage juridique qui se rattache à l’idée de LD, parfois associée au CS, parfois non. La LD est dite « confirmée » à propos de l’Afghanistan, et « préventive » pour l’Irak.

ü  LD confirmée en Afghanistan :

Le 12 sept. 2001, le CS adopte la rés. 1389, dans laquelle il exprime sa sympathie et ses condoléances aux victimes des attentats, au peuple américain et aux USA, et il se déclare prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour répondre aux attaques. Dans son préambule, cette même rés. comporte la formule suivante : « reconnaissant le droit inhérant à la LD individuelle ou collective ». La LD est donc reconnue, et l’opération d’Afghanistan va pouvoir être montée sur la base de cette rés..

ü LD préventive en Irak :

L’opération en Irak ne s’appuie pas sur une rés. l’autorisant. La situation à l’époque reste toujours dominée par la rés. 687. Mais à ce moment là va se développer une argumentation à la foi fondée sur la LD préventive, et sur la rés. 1441 adoptée par le CS le 8 nov. 2002. Le CS adopte par cette rés. un mécanisme qui se rapproche de celui de la rés. 1198 concernant le Kosovo : l’idée c’est « encore une dernière chance, et après on fera quelque chose ». La rés. 1441 relève que l’Irak est en violation de ses obligations en vertu de la rés. 687, et donc on lui laisse encore une chance de les remplir et dans le cas contraire on fera « quelque chose » mais la rés. ne précise pas quoi… (!)

3°) Vers une institutionnalisation de la LD préventive ?

Enfin, des évolutions récentes (envisagées notamment dans le cadre de la réforme plus globale des NU) tendent à nous faire nous interroger sur une éventuelle institutionnalisation de la LD préventive à venir …

·               propositions du Secrétaire général dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande » et publié le 21 mars 2005 :

 

« 122. Enfin, le consensus que nous recherchons doit absolument établir quand et

comment il est possible de recourir à la force pour défendre la paix et la sécurité

internationales. Au cours de ces dernières années, cette question a profondément

divisé les États Membres. Ces derniers ont été en désaccord quant à la question de

savoir si les États ont le droit de recourir à la force militaire selon le principe de

précaution, pour se défendre contre des menaces imminentes; s’ils ont le droit d’y

recourir à titre préventif, en cas de menace latente ou non imminente; et s’ils ont le

droit – voire l’obligation – d’y recourir à titre de protection, pour secourir les

citoyens d’autres États victimes d’un génocide ou de crimes comparables. »

 

« 123. Il est indispensable de parvenir à une entente sur ces questions si l’on souhaite

que l’ONU – conformément à son mandat – serve de tribune pour régler les

différends et non de scène où les exposer. Je demeure persuadé que la Charte de

notre Organisation offre, en l’état, une bonne base pour l’accord dont nous avons

besoin. »

 

« 124. Les menaces imminentes sont pleinement couvertes par l’Article 51 de la

Charte, qui garantit le droit naturel de légitime défense de tout État souverain, dans

le cas où il est l’objet d’une agression armée. Les juristes ont depuis longtemps

établi que cette disposition couvre les attaques imminentes, ainsi que celles qui ont

déjà eu lieu. »

 

« 125. Lorsque les menaces ne sont pas imminentes mais latentes, la Charte donne au

Conseil de sécurité pleine autorité pour employer la force armée, y compris de

manière préventive, afin de préserver la paix et la sécurité internationales. Quant au

génocide, à la purification ethnique et aux autres crimes contre l’humanité

comparables, ne constituent-ils pas également des menaces à la paix et à la sécurité

internationales contre lesquelles l’humanité devrait pouvoir demander la protection

du Conseil de sécurité? »

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